Le décret n°0473/PM-RM du 28 mai 2018, pris pour favoriser l’orientation de la commande publique vers les Petites et Moyennes Entreprises (PME) et la promotion de la production nationale, souffre dans la poussière des tiroirs de l’administration malienne. Le bout du tunnel pour les promoteurs de Petites et Moyennes Entreprises (PME) est toujours un rêve. Et pour cause, Le décret n°0473/PM-RM du 28 mai 2018 qui a fixé des règles pour l’orientation des commandes publiques vers ces entreprises est mort-né. Cela concerne, entre autres, les meubles, sièges, fauteuils, la papeterie, le matériel scolaire etc.
Ce décret devrait s’appliquer à tous les marchés publics de travaux, de fournitures de biens ou de services conclus par l’Etat, les Collectivités locales, les établissements publics, les agences et organismes publics bénéficiant du concours financier ou de la garantie de l’Etat. A ces entreprises, s’ajoutent les sociétés d’Etat, les sociétés à participation financière publique majoritaires, dans la mesure où ce n’est pas contraire aux dispositions des marchés publics et des délégations de services publics.
Pour la mise en œuvre de ces prévisions du décret, le Premier ministre, Oumar Tam Tam Ly, avait envoyé une lettre aux présidents des institutions, ministres et gouverneurs de région. L’objet de cette lettre était la promotion de meubles produits localement. Le premier Premier ministre de l’ancien Président IBK faisait savoir que l’économie nationale a subi divers chocs et ont affecté négativement la croissance et aggravé la précarité. « Les ordonnateurs des dépenses publiques doivent promouvoir l’achat des meubles produits par les entreprises artisanales. Cette mesure est un soutien au secteur de l’artisanat à travers les entreprises agréées, enregistrées au répertoire de l’Assemblée permanente des chambres de métiers du Mali », ordonne, en son temps, le chef du gouvernement malien.
Son successeur aussi, Moussa Mara, était dans la même dynamique lorsqu’il adressait une correspondance à Madame le ministre de l’Artisanat et du Tourisme de son équipe. Cette lettre stipule comme objet le lancement d’une initiative privée de promotion de l’artisanat. Il a demandé à son ministre de réfléchir aux différentes initiatives de promotion de l’artisanat dont principalement la mise en place d’une société commerciale de promotion de l’artisanat au Mali. En outre, Moussa Mara voulait voir cette initiative se concrétiser avant la fin du premier semestre de l’année 2015.
Le ministre de l’Economie et des Finances, Dr Boubou Cissé, a également mis le paquet en informant de l’existence d’une liste d’entreprises et d’artisans formalisés. Il s’agit bien de ceux qui s’acquittent convenables de leurs impôts et taxes. Il assurait qu’un catalogue de produits fabriqués au Mali ainsi qu’une mercuriale de prix seront envoyés à toutes les autorités contractantes (DFM, DAF, gestionnaires) afin qu’elles puissent mieux exprimer leurs besoins.
Le Premier ministre Cissé avait promis d’autres mesures d’accompagnement afin de faciliter le traitement des dossiers pour les PME et artisans concernés au niveau de la Direction générale des marchés publics et la délégation de services publics (Dgmp-DSP). Ce, disait-il, afin de permettre une meilleure application. Il s’agit de l’allègement des conditions de participations aux marchés publics pour les entreprises artisanales ; l’amélioration des conditions de paiement etc.
Les artisans rasent le mur !
Si les différents Premiers ministres ont manifesté la volonté de satisfaire les promoteurs de Petites et Moyennes Entreprises, leurs actions n’auront pas été suivies d’effet. Car aucune des mesures prises n’a été appliquée. Le décret a été foulé au pied et rien ne marche chez les artisans du Mali qui souffrent actuellement dans le silence. Ils se sont reposés après avoir frappé à toutes les portes et après s’être adressés à qui de droit. Rien n’y fit !
Les témoignages ne manquent pas en la matière. Selon le 2ème vice-président du bureau de la commune II de l’Assemblée permanente des Chambres de Métiers du Mali (APCM), Oumar Cissé, depuis la prise du décret, il n’a jamais été appliqué. A ses dires, ils en parlent à chaque réunion afin de trouver les voies et moyens pour son l’application.
Selon Sékou Diarra, membre de la Chambre des Métiers de la commune IV, la commande publique est un vieux vœu des menuisiers maliens. « Ça date d’avant la création même de l’APCAM. A l’époque, il y avait la fédération seulement. Et cette fédération travaillait avec les boutiques de gestion et le projet Swisscontact, un acteur clé de la formation professionnelle. C’est pour donner plus de chance à la réalisation de ce vœu que Swisscontact a commencé à nous organiser et à nous mettre en groupe. C’est de cette façon qu’un centre des artisans a été créé dans toutes les communes de Bamako. Toute cette organisation a été faite dans l’espoir que le gouvernement vient acheter chez les artisans locaux. Ce combat nous le menons depuis 1985 ou 1987. C’est après plusieurs années de lutte que le gouvernement a décidé en 1996 après nous avoir décerné une médaille, de nous attribuer le marché de la conception de table-banc pour les écoles. Par exemple, il y a quelques temps toutes les tables de bureau du Trésor public figuraient la marque Bakatras. C’était l’œuvre d’un menuisier local. Il y a encore aujourd’hui quelques tables de bureau de confection locale qui existent au Trésor public. C’est dire combien, c’était de produit de qualité. C’était une fierté pour de savoir que nos produits sont consommés chez nous», explique Sékou Diarra. Mais, à l’en croire le beau temps n’a pas duré pour les menuisiers.
Les commerçants s’en mêlent et gâchent tout!
Selon Sékou Diarra, la réalisation du rêve des artisans fut très éphémère. « Le beau temps n’a pas duré vraiment. Des commerçants sont venus pourrir le marché en complicité avec certains agents véreux de l’Etat. Depuis, les quatre vingt dix table-bancs et tables de bureau fabriqués par les menuisiers le sont par sous-traitance», regrette le maître menuisier.
A ce souci des menuisiers, s’ajoute l’importation des meubles qui est actuellement en vogue au Mali. « C’est des tables de bureau qui ne durent. C’est du gâchis pour l’Etat malien qui est obligé de les changer chaque deux ou trois ans. Pire, ces tables de bureau importées tuent les producteurs locaux qui, portant, payent aussi des impôts et des taxes à l’Etat. Ce phénomène a commencé peu avant la fin du second mandat du président Alpha Oumar Konaré. Nous sommes aujourd’hui peinés de constater que depuis cette date, il n’y a aucune de nos œuvres dans nos ministères que ce soit du bois ou du métal », dénonce le secrétaire à l’organisation de la Chambre des Métiers de la commune IV.
L’arrivée de Omar Tatam Ly a suscité l’espoir !
Selon Sékou Diarra, quand le Premier ministre Omar Tatam Ly a été nommé, il a refusé d’occuper son bureau bondé de meubles importés. « Il nous a sollicités pour équiper son bureau et nous lui avons conçu en 72 heures des chaines, des tables de bureau, des bibliothèques digne d’un Premier ministre. Convaincu du génie créateur des artisans maliens, il a ainsi adressé une lettre à tous ses ministres aux fins de meubler leurs bureaux de produits locaux. Pendant le court temps qu’il a séjourné à la Primature, les artisans maliens étaient inondés de commandes publiques. Malheureusement, il n’a pas duré à son poste. Nous avons retenu nos souffle jusqu’à la nomination de Moussa Mara qui, lui aussi, un grand amour des œuvres des artisans maliens. Bien avant d’être Premier ministre, il avait déjà fait la promotion des œuvres des artisans de la commune IV lorsqu’il était maire de la commune. Pour preuve, il n’y a pas un seul meuble à la mairie de la commune IV qui n’est pas l’œuvre des artisans de la commune. Il n’y en a pas. Il ne nous a pas déçus aussi quand il a été nommé Premier ministre. Au contraire, il a essayé d’étendre la mesure à tous les artisans du Mali et en ajoutant même les tenus scolaires et militaires. Il a pris une circulaire pour cela. C’est dans cette mouvance que les agents du Marché public nous ont sollicités pour participer à deux ateliers de formations sur les procédures de demande des commandes publiques. On pensait après cette formation que les choses allaient partir de mieux en mieux. Mais même ceux qui ont participé à la formation n’ont pas un seul marché », informe le menuisier.
Les meubles importés de la Guinée pourrissent les commandes privées
Selon Sékou Diarra, le cancer de la commande privée locale est et reste les meubles importés de la Guinée voisine.
A l’en croire, les meubles locaux ne peuvent pas concurrencer ces meubles venus de la Guinée Conakry au niveau prix. « Des meubles vendus moins chers que des meubles locaux », explique le promoteur mobilier.
Pour lui, ce bas prix, qui caractérise les meubles guinéens, s’explique par le fait que ces meubles arrivent à Bamako non pas pour être vendus mais plutôt pour servir d’emballage pour d’autres produits. « Ces meubles ne sont vendus à Bamako qu’après avoir jouer ce rôle. Pour preuve, il y a de ces meubles de salon que les Guinéens vendent à 150 000 F CFA que les artisans maliens ne peuvent pas céder en dessous de 400 000 F CFA. Voilà comment nos voisins nous concurrencent de façon déloyale. Pour eux, les meubles, qui servent de nids pour d’autres marchandises, ne sont que des bonus. Toute chose qui attire la clientèle privée vers eux », martèle le menuisier qui se prive de nous en dire plus sur le contenu des meubles importés de la Guinée.
Youssouf Z KEITA
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