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lundi, 25 septembre 2023

Pourquoi le Mali importe toujours du riz de l’étranger ?

Mamadou Kabirou Ndiaye est convaincu que le Mali a déjà fait la révolution verte en matière de production de riz. Mais les progrès du pays sont moins connus du grand public qui s’étonne de voir le pays importer du riz. Aujourd’hui à la retraite, Kabirou Ndiaye reste un chercheur actif dont l’ambition est de capitaliser les décennies de travaux scientifiques et de vulgarisation des techniques de production du riz.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Mamadou Kabirou Ndiaye : On me nomme Mamadou Kabirou Ndiaye ingénieur des sciences appliquées spécialité Agriculture de l’IPR Katibougou puis Docteur Ingénieur en sciences agronomiques de l’Institut Polytechnique National et l’ENSA de Toulouse. Chercheur à l’IER de 1977 à 2017 avec 8 années de séjour à AfricaRice de 2009 à 2017. Actuellement à la retraite, je fus ingénieur de recherche à la station de Kogoni, puis chef de la cellule agropédologie de la SRCVO à Sotuba, chef programme riz, coordinateur National puis régional du pole système irrigué du PSI CORAF regroupant 4 pays : Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal. Membre de l’Académie des Sciences du Mali collège sciences agronomiques

Les efforts fournis par le Mali pour rehausser la production locale du riz ont – ils été suffisants ?

Mamadou Kabirou Ndiaye : Cette question ne peut pas se répondre par un oui ou un non. Elle doit être conceptualisée. La production est une résultante de deux composantes la productivité et des surfaces exploitées. Le Mali a souscrit depuis les années 70 à la stratégie de développement et de la maitrise de l’eau pour faire face au cycle de sècheresse à travers les Aménagements Hydroagricoles (AHA).  Les premiers investissements ont été orientés vers la création des périmètresà submersion contrôlée, puis les petits et périmètres moyens, la réhabilitation des anciens périmètres comme l’Office du Niger. A partir de l’année 2000, l’extension des surfaces irriguées est intégrée dans la stratégie nationale. Pour une meilleure maitrise de l’eau et d’assurer une meilleure productivité, certains périmètres de submersion contrôle des offices riz de Mopti et Ségou sont transformés en maitrise totale (Sofara, Soke1). Il est important de souligner que les efforts dans les investissements des infrastructures ont été faits de concert avec des investissements sur les innovations, l’accès aux intrants et matériels agricoles et l’organisationnel avec une approche chaine de valeur, impliquant l’ensemble des acteurs des systèmes irrigués.

Toutes les deux composantes ont connu des améliorations significatives notamment la productivité moyenne a l’Office du Niger de 1tha-1 pour près de 6tha-1. Les améliorations obtenuesdans le système avec maitrise totale ont été aussi constatées dans les autres systèmes de riziculture comme le basfond et le pluvial.

Pour revenir à la question si les efforts sont suffisants, je dirais oui comme le diront les Burkinabés « c’est bon mais ce n’est pas arrivé »  cela en comparant le potentiel en terres irrigables et rizicultivables en pluvial et les superficies aménagées et exploitées. On constate que le taux de réalisation est très faibles, en AHA seulement près 10% du potentiel est aménagé. Toutefois il faudrait mieux informer le grand public que le potentiel n’est pas l’exploitable car des facteurs comme la disponibilité en eau, le fleuve Niger étant une ressource partagée, la disponibilité en ressources environnementales, financières et humaines.En termes de productivité moyenne 5 à 6 tha-1 pour du matériel végétal d’un potentiel de 10 à 12 tha-1.

En analysant de façon retro prospective, les performances du système rizicole et l’évolution de la production maraîchère, je conclurai que le Mali a réalisé une révolution verte dans les années 90.

Qu’est ce qui a changé pour que la production locale du riz soit à la hauteur des attentes des consommateurs ?

Mamadou Kabirou Ndiaye :Au risque de me répéter tous les efforts consentis dans la stratégie nationale pour la maitrise de l’eau ont été les facteurs de changements des performances des systèmes irrigués.  Il s’agit des réhabilitations, des extensions des superficies, de l’amélioration de la productivité grâce à la création d’un environnement favorable et incitatif.

Pourquoi le Mali importe toujours du riz de l’étranger ?

Cette question récurrente, au vu du potentiel et même de la production, est liée à la faible coopération entre les services techniques et peut trouver sa réponse en deux points, suivant la compréhension que j’ai eue à la suite des débats lors de la présentation du Ministère du Commerce à l’atelier sur le riz malien organisé par l’association des anciens fonctionnaires des Nations Unies au Mali.

Une première raison est que l’alimentation au Mali est essentiellement à base de céréales : mil, sorgho, mais et riz. Avec la substitution entre les céréales on peut estimer que la somme est constante mais pas nulle. Les années de mauvaise pluviosité les consommateurs urbains, néo-urbains et ruraux se rabattent sur le riz pour leur équilibre alimentaire donc un accroissement de la demande.

Le second point serait lié aux mécanismes du déclenchement des autorisations de l’importation. Le ministère du commerce utiliserait le niveau du stock pour déclencher les autorisations d’importation pour prévenir et couvrir les risques de pénuries en riz. La méthodologie de l’estimation du niveau du stock est le point d’échauffement car certains stocks importants surtout au niveau des producteurs ne seraient pas pris en compte.

Combien de tonnes de riz sont produites au Mali et que représente cette production dans la consommation locale?

Mamadou Kabirou Ndiaye : La production de riz au Mali regroupe l’ensemble des types de riziculture au Mali et sur l’ensemble du pays. Cette production nationale a beaucoup progressé surtout depuis les réhabilitations 1985 et l’initiative riz 2008. La production en paddy a varié de 199000 tonnes en 1977 à 3196336 tonnes en 2019. La tendance de la production est une croissance linéaire avec des baisses certaines années liées soient à la variabilité climatique, ou à d’autres chocs socio-économiques et politiques comme en 2013. En terme de riz blanchion peut estimer la quantité de riz pour la consommation à près de 1 598168 tonnes avec un rendement décorticage de 50% et 1917802 tonnes avec un rendement décorticage de 60%  soit 88 à106kgde riz blanc disponible par habitants. Avec ce modèle arithmétique on peut être amené à une conclusion hâtive que le Mali est autosuffisant en riz si l’on tient pas compte des zones de production et de consommation et de l’urbanisation croissante. La question d’agrégation et du circuit de commercialisation et de distribution se pose et une bonne réponse en sortirait.

Pourquoi la production locale du riz est moins visible sur les marchés de Bamako?

Mamadou Kabirou Ndiaye : Cette question aussi est récurrente mais je dirai plutôt pourquoi le riz des AHA sont moins visibles sur le marché local. Les systèmes de riziculture faisant un surplus commercialisable comme par l’Office du Niger avec une bonne productivité et des surfaces exploitées par un nombre importants d’exploitations suffisantes pour assurer un surplus commercialisable. L’éloignement de certaines zones de production comme le delta et la boucle du Niger par rapport aux zones de consommation comme Bamako et les régions de Kayes, Koulikoro et Yélimané par exemple. La aussi la question de distribution se pose avec la faiblesse des transports routiers.

Le Prétoire :  Quel est le plus grand succès du Mali parmi les nombreuses initiatives de promotion de la production locale du riz ?

Mamadou Kabirou Ndiaye : Les reformes institutionnelles entreprises entre 1980 et 1990 sur les filières agricoles avec la libéralisation du commerce des céréales ont permis de créer un environnement favorable.

Le gain de compétitivité du riz local avec la dévaluation du franc CFA, associé à l’obtention d’un prix incitatif, ont été des sources de motivation pour les agriculteurs qui ont ainsi pu intensifier leur système de production. Les initiatives présidentielles d’extension des surfaces aménagées ayant entrainé une augmentation substantielle des surfaces exploitées de près de 60000 ha à plus de 130 000 ha en zone office du Niger, le développement de la riziculture pluviale avec la mise en œuvre de l’initiative riz en 2008. Cette initiative riz a permis un engouement pour la production rizicole et aussi l’amélioration de la productivité.

Quelles avancées y a-t-il eu en matière de recherches pour la production du riz dans les zones non inondées ?

Mamadou Kabirou Ndiaye : En matière de riziculture pluviale les avancées importantes ont été effectuées dans différents domaines :

Pour le matériel végétal, la création des variétés inter spécifiques Nerica, dont la plus populaire est la Nerica 4, a révolutionné la production de riz pluvial avec des niveaux de productivité atteignant 4tonnesà l’hectare. En plus de l’amélioration du matériel végétal des innovations sur les bonnes pratiques de production de récolte et de post récolte ont été promues.

En matière de riz irriguée  les réhabilitations ont été accompagnées par un panier de variétés adaptées comme le BG90 2, Kogoni 91 1 ou Gambia kasuruni mais aussi de bonnes pratiques de gestion des cultures et des moyens de récolte et de post récolte réduisant de beaucoup les pertes.

Que représente aujourd’hui la production du riz dans l’Office du Niger?

Mamadou Kabirou Ndiaye : Avec la diversité et l’expansion des surfaces aménagées la part relative de l’Office du Niger dans la production de riz au Mali selon les années et les variations climatiques et hydrologiques varie entre 30 à 40%. Ces 5 dernières années la tendance est vers 30% avec la réduction de la contre saison riz afin de gérer la disponibilité en eau dans les bassins du Niger et du Bani.

Pourquoi les Maliens préfèrent généralement le riz importé ?

Mamadou Kabirou Ndiaye : Le malien de façon générale préfère le riz malien mais consomme le riz importé ceci répondant aux caractéristiques de l’offre et de la demande à savoir la disponibilité, accessibilité, abordable et la qualité (intrinsèque et sanitaire). Dans cette analyse de la demande il faut tenir compte de ceux qui aiment le riz parfume et la facilite d’utilisation qui dépend le plus souvent de la qualité physique autrement dit la propreté du grain.

Réalisée par  Youssouf Z KEITA

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