L’essor du numérique a entraîné un profond changement dans de nombreuses branches de l’industrie et des services. Comment cela se traduit-il dans la politique économique au Mali ? Des études et des relevés statistiques laissent à penser que le virage numérique contribue dans une large mesure à la progression du PIB dans tous les pays.
Le processus de numérisation permet de sauvegarder et de diffuser par voie électronique toujours plus d’informations : les liseuses remplacent les livres, nous nous faisons livrer les journaux sur notre téléphone, de centaine de milliers de transactions commerciales sont effectuées sur Internet, et nous faisons désormais nos déclarations d’impôts en ligne.
Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), qui sous-entend la numérisation, est considéré comme une innovation fondamentale.
Des inventions comme celle-ci changent profondément la société et l’économie, au même titre que le passage de la machine à vapeur à l’électricité. Comme pour tout changement structurel, la question du temps d’adaptation est aussi nécessaire que primordiale, en particulier sur le marché du travail où, nous assistons bien souvent à un malaise et à des réactions de conflit.
Que signifie le processus de transformation amorcé par le numérique dans l’économie Malienne ? : Investissements et augmentation de la productivité
Pour simplifier, on peut dire qu’une économie peut croître de deux manières :
- soit en augmentant la quantité de travail et de capital utilisés,
- soit en exploitant plus efficacement les ressources disponibles pour améliorer la productivité.
Le numérique peut influencer la croissance économique de différentes manières ? a) Il entraîne une hausse des investissements dans le capital physique (serveurs, réseaux, équipements, licences, logiciels applicatifs etc.…).
- b) Un accroissement de la productivité dans le domaine des TIC grâce aux progrès technologiques ainsi qu’une augmentation de la productivité en général liée à l’utilisation des TIC dans les différentes branches de l’industrie et des services.
Une étude réalisée pour l’Allemagne a montré que l’utilisation grandissante de l’informatique entre 1998 et 2012 a contribué à hauteur de plus d’un tiers à la croissance de la valeur ajoutée dans ce pays.
Une autre étude concernant l’Union européenne et les États-Unis, qui porte sur les années 1995 à 2007, arrive aux mêmes conclusions : pour l’UE, environ un tiers de la croissance du PIB est à mettre en relation avec le numérique ; aux États-Unis, ce chiffre augmente même de 40 %. Cette hausse est principalement due aux investissements dans l’informatique et à l’augmentation de la productivité dans le domaine des TIC. (Markus Langenegger Université de Lausanne).
En Mali, il n’existe pas encore d’étude approfondie quant aux effets du numérique sur l’économie nationale. Toutefois, les calculs de l’OCDE pour les années 1995 à 2013 indiquent que les investissements dans le capital physique TIC ont à eux seuls fait croître le PIB de 0,4 point de pourcentage par an.
On peut partir du principe que les effets de la révolution numérique sur la croissance sont aussi substantiels en Mali. Il est peu réjouissant de constater que notre pays ne dispose pas encore de statistiques récentes et fiables liant les places des économies numériques dans la croissance économique.
En tout état de cause, l’exploitation de ce potentiel de croissance revêt une importance particulière pour un pays en voie de développement comme le nôtre. Pour exploiter le potentiel du numérique de façon optimale, il est essentiel d’élaborer des conditions cadres favorables à l’économie, notamment dans le domaine de la formation recherche et perfectionnement ; les infrastructures TIC; la fiscalité; l’électricité; la protection des données.
L’État doit créer des conditions-cadres favorables
L’importance du numérique pour la croissance économique pose la question du rôle de l’État dans ce processus de mutation. Au cours des dernières années, divers pays africains ont présenté des programmes à grande échelle liés au virage numérique.
A ce niveau, nous citerons principalement deux approches en Afrique :
– l’approche à la Tunisienne : Ce pays comptant sur la valeur des ressources humaines a entrepris différentes reformes des conditions cadres favorables à l’économie pour les entreprises des services numériques (Création de zones de concentration d’entreprises des services numérique, réductions de taxes et d’impôts, l’accès aux infrastructures, incitation à l’exportation etc…). Ces zones ont permis d’attirer des firmes multinationales avec leurs normes et standard rehaussant ainsi le niveau de compétitivité de l’ensemble du secteur TIC. Ce pays en deux décennies est devenu champion d’Afrique du outsourcing des services numériques avec plus 2,9 milliards de dollars US d’exportation en régime offshore prestation de service numérique (Statistique Nationale de Tunisie statistiques du commerce extérieur année 2017, page 6) 8ème pays au classement mondial de taux de disponibilité d’ingénieur pour le projet de développement informatique (Sommet de Davos Suisse 2018) devant la France et l’Allemagne.
– l’approche à la Rwandaise : Cette approche est elle basée sur un investissement massif en capital physique pour la modernisation de l’administration d’Etat dans le but de donner un meilleur service aux citoyens (Déclaration d’acte de naissance, demande de passeport, demande d’extrait de casier judiciaire, les candidats au permis de conduire peuvent utiliser l’application SMS du ministère des Transports pour prendre rendez-vous pour leur examen ou pour recevoir leurs résultats. Une application similaire est reliée à la base de données nationale des cartes d’identité, ce qui permet de faciliter l’inscription sur les listes électorales, paiement en ligne des taxes et contraventions…. tout y passe). Cette réforme s’est traduit à terme par service de qualité rendu par l’Administration aux citoyens d’une part et d’autre un accroissement de la productivité grâce à l’utilisation des TIC a stimulé les divers secteurs de l’économie, afin grâce aux progrès technologiques, l’Etat quant à lui s’en fait des rentrées d’argent presque sûr dans ses caisses.
Les deux approches se fondent sur la conviction que l’État dans nos pays doit intervenir directement dans l’économie du secteur des TIC, et fixer les meilleures règles du jeu possibles pour les acteurs privés. Vu l’importance capitale des TIC et la rapidité avec laquelle l’environnement évolue, il n’est pas indiqué de promouvoir de manière ciblée certaines branches, entreprises ou technologies, mais de de faire des reformes appropriées et bien fixer les règles de jeu, les acteurs sont déjà là !
Parmi les conditions-cadres que le Mali offre à l’économie, on peut citer :
des bons points comme :
– la liberté d’entreprendre,
– la flexibilité du marché du travail,
– la sécurité juridique etc…
des points moins bons sont :
– la main-d’œuvre moins qualifiée,
– la faiblesse de la qualité des infrastructures,
– le coût d’après des services TIC encore élevé
– la politique budgétaire peu durable et bien souvent inapproprié,
– une législation encore en retard par rapport à certaines branches du secteur des TIC.
Les domaines suivants sont particulièrement importants pour permettre au Mali d’exploiter de façon optimale le potentiel économique de la révolution numérique :
- Formation recherche et perfectionnementLes qualifications des travailleurs doivent satisfaire, dans la mesure du possible, aux exigences d’un monde de plus en plus marqué par le numérique.
Tout pays doit faire un choix stratégique dans l’exploration des possibilités technologiques offertes par le numérique et faire l’élaboration des applications qui en découlent pour ses besoins.
Au Mali, les sociétés de développement informatique manquent cruellement de compétences dans certaines technologies de développement (Java IEE, Oracle, DotNET, Engulard JS, développement mobile sous Android et Ios ect…). Pas seulement au Mali, dans tous les pays en moment ces compétences en développement deviennent des ressources rares. A ce niveau nos brillants jeunes esprits qui sortent du pays dans le cadres des bourses d’excellence pour des études supérieures en science si des mesures alléchantes me sont pas prises à leur attention pour le retour au pays, ils resteront dans les pays de formation puisque que tout simplement ils auront du travail bien payé dans un créneau porteur.
Aussi il faut, une forte connexion entre les écoles d’ingénieurs et le monde professionnel, la formation des étudiants doit d’abord satisfaire les besoins des entreprises de développement informatique qui sont leurs futurs employeurs. - Infrastructures TIC sûres et performantes
Ces infrastructures sont pour ainsi dire l’épine dorsale de l’univers numérique. Au Mali, leur exploitation et leur développement s’effectuent surtout sous l’impulsion de l’Agence des technologies de l’information et de la communication (AGETIC) au niveau de l’Etat, qui semble être déborder tant d’autres initiatives sont prises à d’autres niveaux de l’Administration.
Toutefois, l’intervention de l’État pour réglementer et réguler (Agence Malienne de Régulations des télécoms et Poste), les infrastructures de réseau (privées) revêt une grande importance en raison de leur rôle essentiel dans la mutation numérique. Ces infrastructures doivent couvrir le plus de territoire possible et être accessibles au plus grand nombre. A mon sens, l’autorité malienne de régulation des télécommunications/tic et des postes (AMRTP) semble porter un regard plus attentif sur les tarifs du téléphone que sur le coût d’accès à internet qui est presque deux fois plus cher au Mali que dans les pays voisins, Internet étant plutôt un outil de travail pour les entreprises de services numérique.
- Une charge fiscale très élevée dans un pays de surcroit enclavé
Au-delà des entreprises intervenant dans les TIC, toutes les entreprises exerçant sur le sol malien, partent déjà au départ avec un handicap de 700 Km à 1 200 km de charges en frais logistique et transport pour leur approvisionnement. A ce handicap naturel d’ajoutent la pression fiscale et les charges sociales se situant à la moyenne supérieur des pays de la zones UEMOA, du coup une entreprise au Mali ne s’en sorte que si elle entreprend dans un secteur où la marge bénéficiaire est extraordinairement élevée. A ce niveau, il serait juste, impérieux et urgent d’élargir plutôt l’assiette fiscale (l’impôt, il doit être payé par tous) et baisser de façon significative les charges sociales et fiscales pour améliorer la compétitivité des entreprises face à la déferlante concurrence qui nous arrive de l’UEMOA et de la (Zone de libre-échange continentale africaine) ZLEC que de continuer à matraquer seulement ceux qui se déclarent les chiffres d’affaires de bon gré.
- Le coût élevé de l’électricité et son indisponibilité
Même si les matériels, équipements informatiques et télécoms n’ont généralement besoin que d’un courant faible pour leur fonctionnement, les infrastructures de data center et salles d’hébergement d’applications ont elles, besoin d’une température assez basse mais aussi constante pour leur bon fonctionnement.
Au Mali le coût de l’électricité est assez élevé et sa disponibilité est chroniquement inconstante, l’Energie du Mali (EDM. SA), la principale entreprise de production d’exploitation et de distribution du courant électrique à l’échelle nationale n’a jamais réussi depuis sa création en 1960 à aujourd’hui, à amorcer un changement stratégique quant à sa mode de production de l’électricité malgré la disponibilité en abondance d’autres sources de production d’énergie comme le vent et le soleil.
La principale source d’alimentions des centrales thermiques de l’entreprise reste l’énergie fossile, on produit de l’électricité encore au Mali comme si l’on est XVIIIème siècle !
Cette Entreprise publique malgré son autonomie financière, est constamment déficitaire et constamment maintenue sous perfusion par l’Etat qui n’en demeure pas le premier client et mauvais payeur. L’Etat mieux encore intervient sur les tarifs de celle-ci en cédant le courant en deçà de ses coûts de production. L’Entreprise avec une tarification injuste là encore, vend les kilowattheures plus chers à ses gros consommateurs, justement ceux qui travaillent avec le courant plombant ainsi les charges d’exploitation des entreprises. Du non-sens commercial simplement. Un tel mode de fonctionnement d’entreprise publique n’existera même plus dans le pays de Mao Ze Dong !.
- Protection des données et leur stockage
Étant donné les nouvelles possibilités technologiques et l’augmentation du stockage de données personnelles qu’elles entraînent, la sécurité juridique doit être assurée. Le citoyen en donnant presque gratuitement et de plein gré souvent ses informations personnelles, doit être rassuré quant à leurs utilisations futures. A ce niveau la mise en place et l’opérationnalisation des activités de l’Agence pour la Protection des Données à Caractère Personnel (APDP) est rassurant et vivement salutaire. Mais par contre, l’hébergement et le stockage sur le sol national des données d’état civil, de celles liées aux passeports biométriques, de la carte d’identité nationale, les données des systèmes de santé, de protection sociale etc…, sont à voir de près par les Autorités pour une souveraineté numérique.
La transformation numérique est clairement le moteur de la croissance économique. La mutation se diffuse dans tous les pans de l’économie et les sociétés de services numérique sont le bras armé de ces changements structurels et l’Etat reste le maître d’orchestre de la mise en place de reformes idoines, afin que cette nouvelle révolution profite à tous y compris lui-même.
Humblement nous devrons revoir très vite bon nombre de choses pour aller dans le bon sens !
Abdramane Bathily
CEO Intelis