Parti de zéro et avec comme seul allié son audace, sa passion et son sérieux dans la coiffure, Issa Kéita s’est propulsé après huit ans d’efforts soutenus au rang de leader de la coiffure « homme » de Bamako. Issa Kéita affectueusement appelé « Izo » est aujourd’hui le promoteur-gérant de cinq salons ultramodernes de coiffure à travers la ville de Bamako. Pour arriver à ce niveau, il a dû affronter les moqueries de ses amis du quartier et bannir les causeries inutiles des « grins » des jeunes de Bamako. Dans cette interview, Issa Kéita, qui emploie directement aujourd’hui plus de 32 jeunes à temps plein, nous parle à cœur ouvert non seulement de son parcours de coiffeur, des difficultés qu’il a rencontrées, mais aussi de ses ambitions pour la coiffure. Lisez les confidences de ce jeune qui doit absolument être une source d’inspiration pour beaucoup de jeunes maliens qui n’ont pas pu percer sur les bancs de l’école…
L’Actu Economie : Présentez-vous aux lecteurs, s’il vous plaît.
Issa Kéita : Je suis Issa Kéita, je suis malien et coiffeur résident à Bamako. Je suis né en Côte d’Ivoire. Je viens d’une famille très pauvre.
Comment avez-vous quitté la Côte d’Ivoire pour rejoindre le Mali ?
C’est après la crise postélectorale de 2010 que nous avons quitté la Côte d’Ivoire pour venir nous installer définitivement au Mali. Quand je venais, j’étais toujours élève.
Qui vous a conseillé à apprendre ce métier ?
Le conseil est venu de mon père qui ne voulait pas qu’on reste à la maison. C’était depuis la Côte d’Ivoire. Les jours où il n’y avait pas d’école, il demandait à nous tous d’aller pratiquer un métier. Les uns partaient cirer les chaussures, les autres ont choisi le lavage des voitures, moi j’ai préféré la coiffure. Certains partaient au magasin pour laver le cola. Notre père lui-même était un vendeur de cola. Donc, de ce fait, lorsque je suis venu au Mali avec la connaissance de ce métier, je le faisais les jours non ouvrables. C’est-à-dire les jours où je ne partais pas à l’école. Pendant ces jours, je partais chez le coiffeur Ousmane pour apprendre davantage le métier jusqu’à ce que j’aie pu ouvrir un petit kiosque de coiffure.
Pouvez-vous nous dire comment vous avez quitté l’école ?
C’est dû aux échecs consécutifs à l’examen du baccalauréat. Je faisais partie des meilleurs de mon école car j’étais toujours parmi les trois premiers de la classe. Je n’ai jamais été quatrième de la classe depuis la 1ère année jusqu’au jour où j’ai abandonné l’école. Je n’ai pas eu la chance de décrocher le bac. Mon dernier échec fut consommé en 2012. Le promoteur de l’école, Modibo Kane Doumbia a été très surpris de mon échec. Il n’en revenait pas au point qu’il m’a appelé dans son bureau pour l’expliquer ce qui s’est passé. J’ai compris et dit que ce n’est pas la fin du monde. En ce moment, j’ai décidé de quitter l’école sans le dire à quelqu’un. Ce même jour, pendant la nuit et sous la pluie aussi, j’ai installé mon kiosque. Pour moi, c’était un adieu pour l’école. Après l’école, il y a le métier à faire. Je ne voulais pas du tout décevoir mon père. Le jour où j’installais le kiosque, je n’avais pas d’argent pour mettre les tôles là-dessus, de mettre le tapis, d’acheter le ciment encore moins le carreau. Je me suis débrouillé comme ça petit à petit pour mettre les choses dans l’ordre. Dans ce travail, je me suis marié en 2015. En 2016, Ami Kane a démoli les kiosques et j’en ai été victime. Or j’avais même agrandi le salon. Cela m’a insufflé une nouvelle dynamique, une nouvelle vision et une nouvelle force dans le travail. Je me suis dit que les kiosques-là ne constituent pas l’avenir car l’Etat n’y installera même pas le compteur. Le terrain sur lequel se trouve le kiosque ne m’appartient pas. Et le propriétaire pouvait débarquer un beau matin et me chasser de son espace. Voilà des choses qui m’ont permises de positiver le démolissement de mon petit kiosque de coiffure. Toutes choses qui m’ont poussé à aller jusqu’au bout de mes idées dans ce domaine-là. Donc j’ai décidé de quitter le kiosque pour venir dans le magasin. Au départ, c’était difficile. Mais avec la conviction que j’avais, j’ai su vaincre la peur et Dieu m’a aidé.
Aujourd’hui, vous avez combien de salons ?
J’avais cinq salons, j’ai fermé un. J’ai maintenant deux grands et deux petits salons. Le salon numéro 3 a été fermé. Il était situé à Magnambougou. L’endroit n’était pas tellement approprié pour attirer la clientèle.
Est-ce que vous avez rencontré des difficultés dans le cadre de votre travail ?
J’ai rencontré des difficultés. Je vais citer quelques-unes. Il faut avoir des ennemis dans la vie. Quand je commençais, certains de mes amis m’ont considéré comme un fou. Ils m’ont demandé si je suis normal. Ils ont pensé que ce n’est pas du travail et que l’échec au bac m’a rendu fou. Ils sont tous vivants. Je remercie Dieu. Si ce n’est moi, leur besoin de 1000 F CFA ne sera pas résolu. Ils peuvent aller en prison à cause de 5000 F CFA. Une autre difficulté a été le manque de soutien. Je n’ai pas eu quelqu’un pour m’épauler. Je suis parti de zéro et aujourd’hui, je ne chôme pas. Il y a un autre qui cherche ce zéro-là, mais il n’arrive pas à le trouver. J’aidais aussi ma mère en payant sa location et en prenant aussi le sac de riz. Au fur et à mesure que je travaillais, j’économisais petit à petit.
Peut-on dire que la situation de la famille vous a donné du courage ?
Effectivement. Au moment où je faisais ce kiosque, beaucoup de mes amis de Côte d’Ivoire ont pris le large pour aller à l’extérieur. Il y en a qui sont morts et certains sont arrivés à destination. L’aventure n’a pas été mon choix. Ce qu’on va faire là-bas comme travail, si on le fait ici on pourra s’en sortir. L’avenir n’est ni en Europe ni en Afrique, il dépend de la personne lui-même.
Lorsque quelqu’un vous ouvre un centre pour apprendre ce métier aux jeunes qui ne font que prendre du thé à la porte, est-ce que vous êtes prêt pour le faire?
Merci pour cette question. Même maintenant, je ne peux pas faire une, deux semaines sans accueillir un apprenti. Pour le moment, j’ai beaucoup de personnes chez moi. Un centre de formation sera un atout pour aider les jeunes à travailler au lieu de les laisser à leur sort. Mon ambition est de recruter les jeunes du quartier, les former et les placer. Comment les placer ? En créant des Izo Coiffures à travers la ville de Bamako. Je l’ai déjà commencé avec mes propres moyens sans l’aide de quelqu’un. Je ne me suis endetté ni avec une banque ni avec un particulier. Il ya des gens qui m’ont poussé à monter des projets qui dorment jusqu’à présent. Là où je suis, je ne pense pas à aller chercher de l’argent avec une banque. Je veux aussi changer le module de la coiffure homme bamakoise. Pour le faire, il faut être en règle soi-même. Nous avons créé l’association des coiffeurs et esthéticiens professionnels du Mali dont je suis le vice-président. Moustapha Diarra de Farafina Coiffure est le président. C’est pour te dire que la coiffure n’est pas n’importe quel travail. Ce monsieur a été décoré par l’Etat malien à cause de ce travail qu’il exerce depuis 1990. Il a développé son système à sa façon, mais chacun a sa limite en la matière. Je lui ai dit que je vais le dépasser et il sait bien que c’est moi la relève.
Il y a beaucoup de salons de coiffure qui sont en retard comparativement à toi. Quels conseils avez-vous à donner à ceux qui dirigent ces salons ?
J’ai comme projet d’aider les jeunes coiffeurs à assainir leurs salons. Car nous sommes comparables aux docteurs. Nous pouvons vendre et acheter aussi la maladie. Il n’ya rien d’insalubre chez moi. Avant de se lever pour faire une lutte pour la propreté, il faudra être propre d’abord. C’est cela mon combat dans l’association. Chaque fois, j’invite ces jeunes à venir faire un tour à Izo Coiffure. La curiosité pousse d’autres coiffeurs que je ne connais pas à venir. Il ya beaucoup de choses qui se font dans les salons à Bamako, tout vient de Izo Coiffure. Il s’agit des soins de visage, le massage crânien et beaucoup d’autres choses. Je coiffe le client jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Le prix était 500 FCFA. Ce sont mes clients qui m’ont poussé à le majorer à 1000 FCFA. J’ai mis deux climatiseurs à mon salon parce que je veux qu’Izo Coiffure soit une chaîne à travers la ville de Bamako. Je sais qu’Iso Coiffure peut s’imposer. Les étrangers viennent se coiffer chez moi et ils sont satisfaits de mon travail. A cause d’Izo Coiffure, ils ne veulent pas que leurs missions prennent fin au Mali. Le coiffeur doit prendre soin du client qui peut avoir des soucis. Il faut comprendre le sens des nerfs. Mes clients me demandent même si je suis malien. Il faut être fier de cette nationalité-là. C’est une fierté pour nous les jeunes maliens.
Réalisée par Youssouf Z KEITA
Pour Investir