Le statuquo qui caractérise actuellement la crise économique entre le Mali et les pays membres de la Cedeao pousse de plus en plus les acteurs du secteur des BTP à rompre le silence. Ceux-ci subissent à plein fouet la crise, qui parait interminable. Conséquence, la résilience fait de plus en plus place à la révolte et à la dénonciation.
Professionnel du secteur du ciment depuis des décennies, le patron de la Société Générale Vente des Matériaux de Construction (SGVMC.SARL) au quartier Banconi-Razel en Commune I du District de Bamako, Bréhima Diaby se plaint aussi. Selon lui, l’embargo en cours contre le Mali depuis le 9 janvier 2022, a mis au jour les faiblesses du pays en termes d’approvisionnement en ciment : ‘‘Depuis le 20 janvier, 4 de mes camions chargés en provenance du Sénégal sont bloqués à la frontière’’, nous confie le grossiste Bréhima Diaby.
Selon lui, les usines de ciment au Mali ont, depuis octobre 2021, fait part de la baisse de leurs productions pour des rasions qui lui sont méconnues : ‘‘Actuellement, mes camions peuvent faire plus de 15 jours devant l’usine sans être chargés et pendant cette période d’entente nous payons les chauffeurs et la location des véhicules’’, ajoute M. Diaby. Toute chose, toujours selon M. Diaby, qui rend difficile la vente de la tonne du ciment au prix plafond de 195 mille Fcfa exigé par le gouvernement.
Kassoum Diallo, quicaillers de son état affirme avoir déjà écopé des amendes de la part du gouvernement à travers la direction générale du commerce et de la concurrence pour avoir cédé la tonne à 121.000 FCFA. Dans d’autres magasins, la tonne est actuellement cédée à 125.000 FCFA malgré les patrouilles et les amendes du gouvernement.
Malgré ce prix, le ciment est actuellement une denrée rare à Bamako pour cause de la fermeture des frontières suite à l’embargo en cours depuis le 9 janvier 2022. Les quelques tonnes localement produites sont déjà commandées avant leur sortie d’usine. Et seuls quelques grossistes parviennent à s’en procurer provocant un arrêt de travail dans plusieurs chantiers.
L’arrêt des travaux dans les chantiers, faut-il le noter, est aussi synonyme de l’arrêt de toute une chaine d’emplois. Chargeurs, chauffeurs, apprentis, ils étaient tous là à ne rien faire lors de notre passage au magasin de Diaby, le samedi 25 février 2022.
Excedé par la situation, le grossiste Bréhima Diaby parle surtout de la possibilité pour les professionnels du ciment d’importer ce produit d’ailleurs loin de la zone UEMOA. Rien ne les empêche de le faire au plan juridique, mais financièrement cela ne semble pas, pour le moment, possible pour les commerçants maliens pour cause des frais douaniers : ‘‘ Beaucoup pensent que le ciment n’est pas dédouané, c’est seulement quant ça vient de la zone ouest-africaine on paie les TVA. Mais si le produit vient au-delà de ces zones, nous sommes obligés de le dédouaner ’’.
Selon Bréhima Diaby, la libéralisation du secteur demandera du gouvernement à supprimer ou subventionner le dédouanement du ciment : ‘‘Avec ça, on pourra aller faire des achats même en Turquie et dans 4 mois, il n’y aura plus de problème d’accès au ciment au Mali’’, nous confie le professionnel du secteur. Selon lui, la principale cause des difficultés d’accès au ciment au Mali se trouve à ce niveau.
Le risque d’un soulèvement populaire !
Ingénieur de son état, et patron du cabinet d’ingénierie appliquée (CIA-Sarl), Kassim Coulibaly a d’abord apprécié à sa juste valeur l’initiative de notre démarche. A ce titre, il a souligné seule la presse constitue les yeux et les oreilles des BTP afin que les populations et surtout les autorités mesurent à juste titre le calvaire des acteurs qui interviennent dans ce secteur en cette période d’embargo imposé par la Cedeao à notre pays. « Au-delà des discours, d’abord il faut reconnaitre que tout est arrêté. On n’a plus d’argent. Tous nos projets sont à l’arrêt. Les financements qu’on devrait avoir à travers les projets de l’Etat sont suspendus. Nos financement sont bloqués », a-t-il lancé.
Pour preuve, il a laissé entendre : « Cela fait moins de 3 mois que j’ai personnellement dépensé plus de 50 millions de FCFA dans mon projet à Koulikoro, mais voilà jusqu’à présent je ne suis pas parvenu à mettre la main sur mes sous. Pire, on n’a plus rien à manger encore. C’est pénible. A cette allure, la situation ne peut pas continuer ». C’est pourquoi, il a alerté que si rien n’est fait dans deux semaines pour faire lever l’embargo, le régime risque de faire faire face à un soulèvement populaire.
Selon KC, si les lignes ne bougent pas, la transition risque de partir le mois prochain. « Les gens n’en peuvent plus », a-t-il confessé. A en croire l’ingénieur, de plus en plus, on assiste à la hausse des prix des matériaux de construction. A cet égard, en guise d’argument, il avance : « Le jour où la Cedeao imposait l’embargo, j’ai acheté 30 tonnes de ciment en raison de 95 000fcfa la tonne. Aujourd’hui, la tonne c’est à partir de 125 000 fcfa. A des endroits, on parle même de 140 000 à 150 000FCFA. Et, il faut aller faire une inscription en avance sur la liste. En un mot, on ne voit même pas ce produit incontournable pour les BTP. Le ciment est devenu un enjeu et un marché de toutes les convoitises ».
A un moment donné dans l’histoire du monde, il faut savoir raison garder .A l’heure, il s’agit de tout faire pour mettre fin à cet embargo. Selon lui, les gens ont l’esprit patriotique, mais la patience a des limites.
De son avis, les commissions de négociations mises en place par l’Etat et l’union africaine pour le chronogramme de la transition peinent à boucler leurs travaux. Les autorités maliennes doivent faire extrêmement attention, a-t-il indiqué.
De son analyse, la gestion de la transition ne peut se limiter au seul aspect sécuritaire. « Je pense qu’il faut sortir de ce jeu de s’éterniser au pouvoir ». De ce fait, il a précisé que les gens ont besoin du concret et non des tapages. C’est pourquoi, Kassim Coulibaly a plaidé pour un compromis rapide pour faire sortir le pays de la cale.
Technicien de dessin bâtiment et promoteur l’entreprise, Lassine Diallo (ELD-BTP) Lassine Diallo n’en revient pas sur la situation que traverse le secteur. « C’est surtout la pénurie de ciment qui nous coupe le sommeil. C’est critique », s’est lamenté LD. Et lui d’ajouter : « Avec la situation, il ne se passe pas un jour, sans que deux à trois maçons nous sollicitent secours, car les chantiers sont au ralenti. Sur un chantier, s’il n’y a de ciment, forcément le travail s’arrête », a-t-il martelé.
A ses propos, en plus de la rareté et de la cherté du prix du ciment, le cas de la flambée des coûts du fer s’est rajouté au calcaire. « Nous aimons tous ce pays-là, mais à vrai dire, nous souffrons, il faut le reconnaitre. Une plaie ne guérit sur le pus. En tout cas, il est temps et important que les autorités de la transition tournent le dos pour écouter le peuple. Ceux qui sont aux affaires savent le rôle que joue les BTP dans le développement et dans la création», a déclaré LD.
L’embargo favorise l’insécurité dans la cité
Sur la question, le Tâcheron Sadio Diallo affirme que beaucoup de chantiers sont arrêtés, faute de ciment.
Selon lui, avec l’embargo, les spéculateurs ont trouvé des prétextes valables pour faire la surenchère. A cela, s’ajoute la hausse des prix des matériaux de construction notamment le fer de béton. « A mon avis, les gouvernants ne doivent jamais oublier que l’arrêt des BTP contribue au renforcement du chômage et favorise l’insécurité dans la cité. Et pour cause, il notera que sans emplois, les jeunes sont tentés à prendre toutes formes d’initiatives pour survivre y compris le banditisme, le vol, l’arnaque ».
De son coté, Ousmane Goïta, fabricant de briques raconte son calvaire : « Depuis 10 ans, je n’avais jamais vécu ce genre de situation. Tout est bloqué. Cet embargo continue de peser sur les marchés. Avant cette situation, on était débordé par les marchés, jusqu’à ce qu’on refusait certains contrats. Mais, maintenant, les marchés viennent à compte goute ».
Pour moi, nous sommes les plus touchés parmi tous qui évoluent dans le BTP, a soutenu le jeune Goïta. Il a poursuivi en disant que si les sanctions ne sont pas levées à temps, elles risquent de dégénérer la révolte. « Les gens ont faim et soif et ils n’ont pas d’argent. A Bamako, beaucoup de gens vivent à travers les BTP ».
M.Konaté est un aventurier actuellement au bercail pour ses congés. Il a été obligé de sursoir à son projet de construction de bâtiment dans sa parcelle sis à Niamana. « L’embargo a faussé tous mes plans et calculs. Je préfère attendre que la situation se détente pour m’y engager ».
Selon lui, la raison est simple, prix des matériaux de constructions ont grimpé. « Personne ne sait quand cet embargo prendra fin. C’est pourquoi, je ne veux prendre aucun risque », a-t-il mentionné.