L’Afrique ne produit que 3% des médicaments qu’elle consomme, ce qui impose un combat pour la souveraineté», a estimé le Dr Michel Hamal Sidibé. «Nous devons avoir une diplomatie forte afin de défendre les intérêts des pays africains. L’Agence veut avoir une solide position diplomatique. Nous n’allons jamais réussir à combattre la pandémie de Covid-19 avec peu de moyens. Le problème avec cette pandémie est que chaque pays s’est renfermé sur lui-même. Nous voulons sauver notre population en créant des hubs de production. Il nous faut des pôles d’excellence capables de produire des médicaments et des vaccins pour toute l’Afrique. Il y a des capacités incroyables dans plusieurs pays, comme la Tunisie, mais les efforts sont fragmentés. Malheureusement, il y a aussi un manque de pharmacovigilance en Afrique. Nous avons de faux vaccins qui circulent sur nos marchés. C’était le cas en Afrique du Sud, mais heureusement les autorités ont rapidement découvert ce trafic», a-t-il notamment déclaré.
– Vous êtes en tournée en Afrique depuis un mois et demi pour convaincre les chefs d’Etat de ratifier le traité portant création de l’Agence africaine du médicament (AMA), adoptée en février 2019 sous l’égide de l’Union africaine. Quel est l’objectif visé à travers cette ratification ?
La survenue de la pandémie de Covid-19 depuis près de deux ans a complètement changé notre façon de voir la santé publique d’une manière générale. Nous nous sommes rendu compte que nous avons besoin d’une diplomatie de la santé en Afrique. Elle doit être portée par des structures continentales capables de pouvoir se positionner avec une vision africaine en matière de soins, de traitement et de production.
Nous devons faire face à un grand défi, sachant qu’il y a 1,3 milliard de personnes en l’Afrique et 99% de la population n’est pas encore vaccinée. Nous n’avons même pas 2% de cette population qui a reçu ses deux doses. Il s’agit donc d’un problème très sérieux sur la sécurité et la santé humaine. L’Afrique est entièrement dépendante en termes de médicaments.
Compte tenu de cet état de fait, la création de l’Agence africaine du médicament est primordiale. Elle n’est pas seulement une structure bureaucratique, mais une structure d’une grande souveraineté afin d’arriver à réduire cette dépendance en matière d’accès aux traitements pour nos populations. L’objectif aujourd’hui de cette ratification est de faire adhérer rapidement le plus grand nombre de pays africains, car nous devons nous battre pour la dignité de nos peuples.
Nous sommes en tournée depuis un mois et demi, nous nous sommes rendus dans dix pays et nous avons essayé à chaque fois de rencontrer les chefs d’Etat, les ministres des Affaires étrangères et bien sûr tout le système de régulation en général. Après l’Algérie, nous continuerons notre périple pour arriver vers une ratification du traité par 15 pays membres pour faire en sorte qu’il entre en vigueur.
– Un des objectifs de cette Agence africaine du médicament est d’harmoniser les procédures et formats de dossiers d’homologation des médicaments en Afrique…
Effectivement, notre objectif est d’arriver à mettre en place une meilleure coordination en termes de régulation et que les différentes agences de régulation qui existent sur le continent travaillent en étroite collaboration afin qu’on puisse aider les pays à atteindre le niveau de maturité exigé en la matière.
Actuellement, nous sommes en face d’une fragmentation dans la région et les standards ne sont pas nécessairement en harmonie avec les normes au niveau mondial pour accélérer la production de médicaments. La mise en place de l’Agence africaine du médicament est aujourd’hui importante au niveau régional.
C’est ce qui précisera les mécanismes réglementaires, notamment pour l’homologation et le contrôle qualité, sachant que nos pays sont confrontés à un marché illicite de médicaments dangereux, estimé à près de 40% dans certains pays. Ce qui prive nos populations d’avoir accès aux médicaments de bonne qualité.
– L’Algérie est l’un des premiers pays à ratifier ce traité et elle est candidate pour abriter le siège de l’AMA. Cette question a-t-elle été évoquée lors de votre entretien avec le président de la République, Abdelmadjid Tebboune ?
Je suis très content de cette rencontre et d’être accompagné par le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmad. Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, nous a affirmé que l’Algérie a déjà ratifié le traité pour la création de l’Agence africaine du médicament et que les instruments du traité pour son application seront mis en place. Il nous a fait part de l’intérêt qu’il porte à cette Agence africaine du médicament, tout en évoquant les questions de distribution des opportunités de la science au niveau mondial afin de réduire les inégalités sociales.
Il a également insisté sur la mutualisation des compétences dans la région, tout en réitérant son soutien et son appui à cette agence afin de lui fournir les moyens nécessaires pour son siège. Je signale qu’il y a un processus continental qui sera ouvert et, bien sûr, l’Algérie fera partie des pays qui vont postuler pour abriter cette agence et elle sera parmi les premiers à s’asseoir autour de la table des négociations.
– Dans combien de temps pensez-vous pouvoir arriver à faire ratifier ce traité par 15 pays africains ?
Le plus tôt possible. Je me suis toujours défini comme un homme de résultats, et ce qui m’intéresse c’est qu’on puisse faire en sorte que cette agence, qui est en mutation depuis très longtemps, devienne une réalité et là nous en sommes convaincus. En tout cas, avec le l’appui et le soutien bien sûr de tous, nous allons y arriver avant la fin de l’année. Nous sommes en tournée depuis un mois et demi.
Nous avons déjà visité une dizaine de pays, dont le Zimbabwe, la Guinée, l’Ethiopie, la Côte d’Ivoire, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la République sahraouie. Ce sont tous ces pays qui vont se mettre ensemble et vont enfin désigner, selon les critères de l’Union africaine et la décision des chefs d’Etat, où sera abritée cette agence.
– L’Afrique dépend encore du dispositif Covax de l’OMS et des dons des pays riches pour l’acquisition des vaccins contre la Covid-19. Que doivent faire les pays africains pour devenir moins dépendants ?
Il est d’abord important de se doter de mécanismes légaux pour réglementer le marché africain et attirer plus d’investisseurs. L’Agence africaine du médicament peut jouer un rôle important à ce niveau-là et faire en sorte que les pays qui produisent travaillent en étroite collaboration pour ériger des pôles d’excellence de production de médicaments pouvant créer un écosystème favorisant la recherche et le développement.
Je salue cette initiative privé-public du Covax qui a facilité l’accès aux vaccins à certains pays, par le multilatéralisme, mais il faut reconnaître que nous ne pouvons pas continuer à croire que nous allons obtenir tout simplement les vaccins qui sont produits ailleurs et que nous ne soyons pas en capacité de les produire nous-mêmes. Aujourd’hui, il y a une pandémie, mais ce n’est pas la dernière.
Nous avons, depuis 1918, connu six autres pandémies. Le cycle pour leur apparition se raccourcit. 70% des vaccins qui étaient destinés à l’Afrique dans le cadre de la plateforme Covax sont fabriqués en Inde, mais aujourd’hui ce pays n’est plus capable de produire et satisfaire la demande. Que le président des Etats-Unis décide de donner des doses de vaccins à l’Afrique est une bonne chose, mais jusqu’à quand doit-on attendre ces dons ? Ce n’est pas suffisant pour nos populations, dont 99% n’ont pas encore eu leurs doses.
D’où l’importance du développement de la production et la recherche. Nous avons toute une industrie de la santé à bâtir et il s’agit d’un marché économique important, qui représente aujourd’hui à peu près 1400 milliards de dollars, sur lequel on peut se projeter pour créer de l’emploi et mettre en place les technologies. Un montant dans lequel l’Afrique représente moins de 1%, soit 1,2 milliard de dollars. Ce qui permettra de changer complètement le système d’approvisionnement et de nous projeter aussi dans la technologie de demain.
– Vous avez effectué des visites à certains sites d’entreprises locales de fabrication de médicaments. Que pensez-vous du niveau de l’industrie pharmaceutique algérienne ?
Je suis effectivement impressionné par les structures que j’ai visitées, comme le laboratoire Biopharm et l’entreprise Saidal. Ce sont des structures de haut niveau qui peuvent entrer en compétition avec toutes les autres industries pharmaceutiques dans le monde. Ce sont des firmes qui produisent des produits génériques et autres, vendus même sur des marchés européens, avec validation bien sûr de l’Agence européenne du médicament. Il y a des compétences réelles en Algérie, aussi bien dans l’encadrement que dans la technologie.
Si aujourd’hui Saidal s’est engagée dans la production du vaccin contre la Covid-19, c’est parce qu’il y a les compétences nécessaires. Avec toutes ces entreprises dans les différents pays, il est important de développer des synergies entre elles et ne pas se contenter de son petit marché.
Il est important aujourd’hui de penser plutôt marché africain, qui représente 203 milliards avec la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et l’Agence sera d’un grand apport à ce niveau-là.
Il est important de se positionner sur un marché continental et penser à chercher de nouveaux types de partenariat au niveau régional. Pour plus d’ouverture d’opportunités, il faut plutôt regarder Sud-Sud et non Nord-Sud.
– Que pensez-vous de la proposition du président de l’unop de fédérer certains pays africains autour du projet de fabrication des médicaments biosimilaires pour accéder aux innovations ?
Le président de l’Unop, le Dr Abdelouahed Kerrar, m’a fait part de la proposition que je trouve très importante. C’est l’unique moyen pour les pays africains, à travers ce projet de fabrication de médicaments biosimilaires, d’accéder à ces produits de biotechnologie.
J’insiste sur le fait que la recherche et le développement constituent les axes essentiels pour espérer un développement de l’industrie pharmaceutique dans la région, et il faut nous imposé un rythme qui va nous permettre de rattraper le retard et arriver à réaliser ce qui se fait ailleurs. D’où, l’importance d’une mutualisation de toutes les compétences. Pour ce faire, il faut aller vers la création des pôles d’excellence de recherche et de développement.
Il s’agit d’une question de défense et de sécurité de nos pays. L’Agence du médicament nous permettra ainsi d’aller vers de nouvelles gammes de médicaments et même les vaccins. Nous devons y arriver et les pandémies, ce n’est pas fini.
Dr Michel Hamal Sidibé. Envoyé spécial de l’Union africaine (UA) pour l’Agence africaine du médicament (AMA), ancien ministre malien de la Santé et ancien directeur de l’Onusida