Depuis18 mois, le Conseil national du Patronat malien (CNPM) est en butte à une crise, suite à deux élections contestées de part et d’autre. Un bureau d’administration provisoire présidé par Boubacar H Diallo vient d’être mis en place. Diadié dit Amadou Sankaré, avec la courtoisie et le franc-parler qui le caractérisent, revient, pour la première fois, dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à votre journal préféré sur les péripéties de cette crise sans fioritures.
Le Sphinx : Diadié Sankaré, après 18mois de crise, vous avez décidé, vous et votre adversaire Mamadou Sinsy Coulibaly, de mettre en place un bureau d’administration provisoire de 16 membres chargé d’organiser une élection transparente et crédible d’un nouveau bureau dans 3 à 6 mois. Est-ce à dire que la hache de guerre est définitivement enterrée ?
Diadié dit Amadou Sankaré : Il n’y avait pas de hache de guerre. Nous avons pensé que notre élection s’est passée dans de très bonnes conditions.
Puisque l’assemblée générale qui a consacré mon élection, le 26 septembre 2020, est une assemblée générale qui a été régulièrement convoquée par le bureau du CNPM ; qui était dans les délais de convocation. Nous avons toujours pensé que nous sommes là de façon régulière jusqu’à ce que la justice ait décidé que les deux assemblées n’ont pas été régulièrement convoquées et les a toutes deux annulées.
Bien que la justice ait annulé les deux assemblées, il y avait d’autres voies de recours.
Lorsqu’il y a eu cette notion d’administration provisoire, nous avons été un peu réticent parce que les textes du CNPM ne prévoient pas d’administration provisoire. Mais lorsqu’il s’est agi de la faire approuver par une assemblée générale et comme nous voulons agir dans la légalité, nous avons accepté le principe. J’étais personnellement là, j’ai assisté à l’ouverture et je suis resté comme tous les autres délégués pendant tout le temps qu’a duré l’assemblée générale et j’ai approuvé ce que ladite assemblée a décidé. Il s’agit de mettre en place une administration provisoire et j’ai moi-même désigné mes huit représentants.
Donc pour enterrer la hache de guerre, il eut fallu qu’on l’ait sortie. Il n’y en avait pas.
Mais Diadié Sankaré, au-delà de l’administration provisoire chargée d’organiser une élection transparente et crédible, il y a tout de même les procédures qui sont pendantes devantla justice, est-ce à dire qu’elles seront toutes arrêtées ?
Moi, j’ai donné mandat à un de mes huit représentants au bureau de l’administration provisoire pour agir à mes lieu et place. Comme je voyage beaucoup, je lui ai donné une procuration. Je leur ai dit qu’à leur âme et conscience, il faut que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Tout le monde doit être d’accord pour retirer les plaintes. Il y a des plaintes «normales » pendantes devant la justice, il y a aussi des plaintes contre moi personnellement, alors que moi je n’ai introduit de plainte contre personne. Les plaintes qui ont été introduites contre Sinsy, je ne l’appelle pas mon adversaire, ce sont des plaintes d’autres délégués. Ce ne sont pas des plaintes de Diadié Sankaré. Mais il y a des plaintes contre ma propre personne.
Moi, je souhaiterais qu’on arrête tout ça. Puisqu’en fait, ce n’est pas un problème de personne.
Franchement je n’ai pas été candidat au CNPM pour ma propre personne. J’estimais que je portais un programme dont le pays a besoin, au-delà même du CNPM.
Il fallait aller à une transformation structurelle de notre économie. Il fallait faire en sorte que notre économie puisse entrer dans la concurrence mondiale.
Ce sont des propositions que le secteur privé doit porter pour améliorer tout ce qui pollue le climat des affaires ; pour améliorer notre pyramide fiscale. On a des difficultés. Si vous voyez que c’est moins de 15% des entreprises privées qui paient 80% des impôts. Ça, ce sont des problèmes énormes qui font qu’on ne peut pas aller à l’émergence si on ne corrige pas ces déséquilibres. Lesquels déséquilibres nous empêchent d’avoir une économie fluide.
Donc, moi je porte un programme. Pour moi, ce n’était pas Diadié. Ce qui importe, c’est ce qu’on veut faire du secteur privé malien. C’est ce que je voulais proposer à l’État pour que notre économie puisse commencer à émerger, à se développer.
Donc, vous avez mandaté quelqu’un pour arrêter toutes les procédures judiciaires, est-ce que de l’autre côté, ils sont prêts à emprunter la même voie ?
Je ne sais pas. Bien qu’au début j’étais réticent à l’administration provisoire mais je continuerai à croire à cette administration provisoire tant qu’elle restera neutre. Mais dès que je constate qu’elle ne va pas dans le sens de l’impartialité, en ce moment-là, je prendrais les décisions qui s’imposent.
On parle d’élection au niveau du patronat qui est pour certains une véritable institution, qui est le miroir économique du Mali à l’extérieur. Si au sein du CNPM il y a des problèmes pour une simple élection ; élection sur la quelle la justice a pris des décisions aussi contradictoires les unes que les autres. Un jour c’est Diadié Sankaré qui gagne, quelques jours après c’est Mamadou Sinsy Coulibaly qui gagne est-ce que les investisseurs étrangers ne vont pas réfléchir par deux fois pour injecter leur argent dans un pays où la justice est aussi tatillon ne même entre les fils du pays ?
Moi, je ne veux pas me prononcer sur la justice malienne. Elle fait son travail. Il y a d’autres voix plus autorisées que la mienne. Ce qui est sûr, pour évaluer le climat des affaires dans un pays, il faut regarder comment fonctionne l’administration judiciaire. C’est très important pour le climat des affaires.
C’est très important pour attirer des investisseurs. On a vu des cas, mais je ne vais pas entrer dans certains détails, mais j’avoue que notre combat, c’est le combat pour l’émergence et le développement du secteur privé malien. Je ne veux pas me prononcer sur ces décisions de justice parce que je suis concerné personnellement.
On a parlé de révision de textes au niveau du Patronat. Est-ce à dire que les textes actuels ne sont plus d’actualité ou ilssont dépassés?
Ce qui est sûr, le plus grand problème que nous avons eu lors de cette élection, c’est que le bureau du président sortant, je ne veux pas dire adversaire, mais plutôt mon challenger, avait pris comme argument, un argument qui n’est pas fondé. Les textes du CNPM sont des textes dépassés qui existent depuis 40ans. On a parlé de doublons. Je vais vous donnez un exemple. Doublon en littérature électorale veut dire que tu risques de voter deux fois, alors que chez nous, ce n’est pas le cas. Tu ne risques pas de voter deux fois. Même si tu as ton nom sur deux listes, tu ne peux voter qu’une seule fois.
Le doublon ne se pose pas en réalité. Mais comme les gens ne comprennent pas. On est 155 délégués par les groupements professionnels et les conseils patronaux de région. Sur ces 155 délégués, un bureau fait 20 personnes, le comité statuaire fait 7 personnes. Donc chaque candidat doit avoir 27 personnes.
Supposons qu’il y ait 10 candidats par exemple, parce que les textes ne limitent pas le nombre de candidats, donc comment chaque candidat peut avoir 27 personnes sur 155 personnes ?
C’est impossible ! Donc le problème de doublon ne se pose pas. Il y a un problème de choix.
Si Monsieur X est sur la liste de Mamadou Sinsy Coulibaly et sur la liste de Dadié Sankaré. Si la liste de Diadié gagne, il est libre de rester ou de démissionner.
Mais est-ce que cela est permis ?
Mais justement, parce qu’il n’y a jamais eu d’élection. Le fait qu’il n’ y a jamais eu d’élection, le problème ne s’est jamais posé.
Dès qu’il y a des candidats ça va se poser. Quelle est la solution ?
À l’époque, on avait dit au président qu’il y a une solution. C’est une question de choix. Si quelqu’un est sur les deux listes, si la liste de Diadié Sankaré passe et qu’il ne veut pas travailler avec moi, il démissionne. C’est aussi simple que ça. La démission est autorisée par les textes. Tu démissionnes, on te remplace par quelqu’un d’autre.
Est-ce que quelqu’un peut être sur deux listes?
Oui. C’est un problème de choix. Tu choisis celui que tu veux suivre.
Donc la relecture des textes concerne cet aspect et quoi d’autre ?
Il faut rendre le Patronat plus inclusif. Aujourd’hui, n’eut été la crise que le CNPM a connue, beaucoup de personnes ne savent pas à quoi sert le Patronat.
Dans notre programme, nous avons dit que la première chose à faire, c’est de faire en sorte que toute personne, toute entreprise qui désire adhérer au CNPM puisse le faire. Soit cette personne vient avec son entreprise ou elle adhère à un groupement professionnel. Il faut plus d’inclusivité.
Pourquoi tant d’exclusions?
Parce que c’est une affaire. Il faut dire la vérité. C’est une affaire de quelques personnes qui font adhérer qui elles veulent. Il y a au moins 30 organisations socio-professionnelles aujourd’hui qui tapent à la porte du CNPM mais elles n’arrivent pas à entrer. Depuis 11 ans, aucune organisation socio-professionnelle n’a pu entrer au Patronat.
Maintenant avec de nouveaux textes, cela sera possible ?
Attention. Ce bureau provisoire a mandat d’organiser des élections ; de faire en sorte qu’il y ait des élections crédibles et transparentes. Éviter qu’on ne traîne pas des arguments pour contester ces élections. C’est cela sa mission. Il ne s’agit pas de faire une refonte du Patronat.
Il est mandaté à faire des propositions uniquement dans le sens des élections et ce, d’une manière consensuelle. Pas autre chose. Les textes seront approuvés ou pas par une autre assemblée générale. S’ils ne sont pas approuvés par l’assemblée générale, ils resteront inchangés. L’administration provisoire a une mission bien précise. L’assemblée générale attend le résultat de ces travaux.
Quelles sont les différentes reformes que vous voulez, une fois élu président, apporter au Patronat malien ?
Il faut qu’on soit un secteur privé qui fait des propositions concrètes à l’État pour améliorer, pour moderniser notre économie.
Premièrement, il faut une concertation privé-privé. Il faut que le secteur privé lui-même puisse s’unir, que les acteurs du secteur privé puissent échanger entre eux. Le plus souvent, on va chercher loin ce qu’on a sous les pieds. Entre nous, on ne se connaît pas. On ne sait pas ce que chacun peut faire. Il n’y a pas de cadre de concertation où tous les acteurs du secteur privé malien se retrouvent pour échanger ; pour optimiser les acquis du secteur privé.
Si par exemple un opérateur fait 80% de son chiffre d’affaires avec d’autres collègues du secteur privé, vous n’allez pas courir derrière les marchés publics.
On court derrière les marchés publics parce qu’on n’a pas développé cette chaîne de valeur entre secteur privé. Dès qu’on le fait, il y aura moins de demande de la commande publique et quand il y a moins de commande publique, il y aura moins de corruption. Donc cela va jouer au niveau de la corruption qui va baisser. Aujourd’hui tout le monde court vers la commande publique. Et quand l’offre dépasse la demande, on sait à quoi ça aboutit.
Aujourd’hui le coût de l’énergie qui est un levier important de l’industrie est trop élevé au Mali, qu’est-ce vous envisagez pour le faire baisser ?
Il faut développer ce qu’on appelle le mixte énergétique. Nous avons jusqu’à présent l’énergie fossile qui représente une partie très importante dans notre système énergétique. Il faut faire en sorte que le mixte énergétique puisse se développer : l’énergie solaire, l’énergie éolienne, d’autres types d’énergie. Nous, nous avons un projet pour le recyclage des ordures. Il faut arriver au mixte énergétique pour baisser le coût du kilowatt heure. Parce que tout le problème est le coût du kilowattheure.
Il faut aussi revoir l’organisation. On a privatisé certaines briques, il faut en privatiser d’autres. Jusqu’à présent l’État est toujours très présent dans le secteur. Il faut le privatiser mais avec des opérateurs privés maliens. C’est très important.
En guise de conclusion, qu’est-ce vous avez d’autre à ajouter Il faut qu’on pense à faire des champions nationaux. Nous sommes pratiquement le seul pays où il n’y a pas de champion national. Au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, il y a des opérateurs qui sont sortis du lot aujourd’hui ; qui sont dans la concurrence mondiale. Chez nous, c’est possible.
Si on amène le secteur privé malien en Côte d’Ivoire, il va se développer puisque le secteur privé malien est un secteur dynamique et résilient. Malgré tout on fonctionne. Aujourd’hui si l’État résiste, c’est parce qu’il y a un secteur privé résilient qui paie ses impôts. Mais c’est encore insuffisant. S’il y a une bonne gestion publique, ça va être meilleur parce qu’on va aller chercher d’autres niches.
Au Mali, il faut qu’on croie au secteur privé ; il faut qu’on ait cette conception de l’entrepreneur. L’entrepreneur est celui qui crée des emplois pérennes. L’entrepreneur, c’est lui le fondement de l’économie.
Il faut aussi reconstituer l’économie familiale. Il faut faire en sorte que l’économie de base soit l’économie de la famille. Tous nos problèmes sont partis de la détérioration de cette économie familiale. L’enfant ne respecte plus le papa parce qu’il peut avoir un revenu supérieur à celui de son père du fait qu’il est djihadiste ou dans un autre truc. La cellule familiale se casse. Et c’est cela qui est en train de créer des problèmes chez nous.
Il faut aussi développer l’économie transfrontalière. Nous avons des frontières où il y a des problèmes d’insécurité. Il faut développer le partenariat économique entre l’Algérie, la Mauritanie etc. Faisons en sorte que cela ne soit plus des problèmes d’insécurité mais plutôt des relations d’affaire entre nous. Si des investisseurs mauritaniens avaient investi le long de nos frontières communes et vice-versa, aujourd’hui on n’allait pas parler d’insécurité, on allait conjuguer nos forces, mettre les moyens pour combattre l’insécurité puisque nous avons des intérêts économiques à défendre.
Propos recueillis par Adama Dramé